Quand Samain fleurit
Les brumes se lèvent sur ce matin de Samain et laissent une rosée dense, comme s'il avait plu toute la nuit. Le sol est jonché de feuilles mortes. Les bogues des noix et des châtaignes sont vides car nous en avons ramassé les fruits depuis longtemps. Quelques pommes s'entassent encore dans un caisson de bois. J'ai retrouvé le couvercle disparu de ma lumerotte. Une vague odeur d'humus se répand. Pas un bruit.
Depuis la nuit des temps, les humains célèbrent les ancêtres en cette période. Je me souviens d'avoir visité un site mégalithique en Irlande. On y avait vu un Cairn concentrant la lumière du soleil sous la forme d'un V lumineux, juste là où les cendres des ancêtres étaient entreposées. Le phénomène se produisait deux fois par an. Aux jours de Samain et à ceux d'Imbolc au début de février. A ce moment, le soleil se levait pile poil entre deux pierres géantes dressées sur une des collines alentour. Et ses rayons entraient alors à l'intérieur du Cairn. J'avais trouvé ce phénomène fascinant.
Pas de Cairn dans mon jardin. Pas d'urne non plus. Mais j'en profite pour m'étonner de tout. Pour écouter. Regarder. L'air est humide. Certains arbres ont déjà perdu toutes leurs feuilles. D'autres pas. J'ai la surprise, cette année, d'observer les premiers fruits, violets, du Callicarpa. Ils sont petits, peu nombreux, mais j'imagine que les années qui viennent le couvriront de ces pépites étranges. Les nèfles sont toujours accrochées à leur arbre. On trouve encore des poires, aussi. Les fruits de l'aulne sont noircis et ouverts sur l'arbre. Mais ce qui m'étonne surtout, ce sont les fleurs.
Samain semble célébrer la descente de la sève, l'arrivée des jours sombres et du gel. La vie retourne dans les creux de la terre. Les oiseaux chantent moins. Les fruits pourrissent. Les herbes médicinales se flétrissent. On pourrait croire que tout se voue à la décréptitude, au vieillissement et à la mort. C'est vrai, bien sûr. Pourquoi sinon les humains auraient-ils choisi de fêter leurs morts en ce moment ? Pourtant....il y a des fleurs. Aussi. Les pâquerettes sont plus rares et globuleuses mais le séneçon jacobéen resplendit. Des impatientes de Balfour arborent leur silhouette orchidienne. Plusieurs grandes consoudes sont en fleur. Et le Cléodendron répand son parfum envoûtant. Du géranium sauvage passe la tête. Et la Clématite poursuit aussi sa floraison.
Voilà des fleurs qui portent les couleurs estivales jusque dans les jours sombres.
J'entre dans mon chalet. J'y ai changé l'autel. Une autre bouteille, pleine de feuilles mortes, de fleurs, de fruits se dresse près du crâne en argile. J'y ai placé une bogue de châtaigne (j'adore octobre rien que pour ça), des feuilles de Ginkgo biloba (un arbre de mémoire, selon moi) et bien sûr des graines de Callicarpa. Je frappe le tamtam en chantant. Je ne sais pas ce que je chante. Je chante, c'est tout. Certains esprits comprennent peut-être. Ce que je sais, c'est que je me sens bien, et curieusement en harmonie. Avec cette étrange certitude qu'en vieillissant, je suis de moins en moins manichéen. En vieillissant, je suis plus proche de ce que je suis, moi.