Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Le sentier des faunes
Radio Arcadie
Ecoutez les musiques merveilleuses
de Radio Arcadie. C'est son player
de diffusion que vous entendez en
surfant sur ce blog.
Découvrez ses 2 émissions :
Godmentica, vendredi de 21 h à 23 h
News d'Arcadie, samedi de 10 h à 12 h.

www.radioarcadie.be

radio arcadie

Atelier Terra Nostra
Découvrez les créations paiennes
de l'atelier Terra Nostra
 http://www.revespaiens.canalblog.com

TERRA NOSTRA

Conair an Bhaird
Un blog qui ne manque pas
d'humour, de peps et d'esprit.
http://bardpath.canalblog.com/

La Messe des Pâquerettes
Un des blogs que je préfère.
Intimiste et agréable à lire.
Haut les coeurs et les balais
www.messedespaquerettes.com

messe pâquerettes

30 octobre 2014

La Chronique des Faunes - Il est parti trop tôt...

Voilà. Aucun doute. Nous sommes entrés sur le chemin de l'hiver. Un des deux humains du jardin a allumé son lumignon. Il raffole des citrouilles, potirons, courgettes, coloquinthes et autres cucurbitacées. Il a sué sa couenne pour évider son potimarron, je peux vous l'assurer. Je l'ai vu faire. Je le regardais à travers la fenêtre de sa cuisine, caché derrière la mangeoire à oiseaux.

A la veille de l'hiver, les hommes vont sur leurs morts. Nous, les faunes, nous aidons la Nature à partir en repos. Nous secouons les arbres pour faire tomber les feuilles. Nous grattons dans le sol, discrètement, pour y glisser des faînes, des châtaignes, des graines tombées à la fin de l'été. Nous contemplons les toiles d'araignée couvertes de rosée et nous leur murmurons : "il est temps de rentrer. Va chercher la chaleur. Va faire hurler quelque donzelle et terrifier quelque puceau. Ils adorent ça, fais-le".

WP_20141026_007 (2)

Dans le brouillard des derniers jours d'octobre, l'humain a allumé son potimarron souriant. J'aime cette manière qu'il a de repousser la peur, de célébrer l'automne et sa beauté. Il a perdu le couvercle de son lumignon pendant qu'il traversait le jardin. Il l'a posé quelque part puis il a disparu. Moi seul sait où il est.

L'humain s'est assis.

Il prie.

L'humain pleure.

Il pense aux âmes qu'il a perdues. A ce père dévoré par un cancer. Ce père férocement homophobe. L'un, comme l'autre, étaient trop fiers pour faire un pas vers l'autre. Il a fallu deux ans après sa mort pour qu'enfin, il consente à revivre des souvenirs agréables vécus avec ce père. Ce père qui avait peur. Qui aurait bien voulu, tout de même, voir son fils plus souvent.

Il pense à sa grand-mère aussi. A qui il massait les pieds douloureux. Et qui ne cuisinait qu'une fois la semaine pour qu'au moins une-fois-la-semaine il consente à manger de la viande. Sa grand-mère noctambule qui se couchait à quatre heures du matin. Sa grand-mère qui, pendant la guerre, avait failli être fusillée, alors même qu'elle était enceinte.

L'humain pense également aux jeunes de ce Refuge auquel il songe souvent. Aux jeunes que leurs parents flanquent dehors parce qu'ils ont l'outrecuidance d'être homosexuels. Il pense à ces jeunes laissés à la nuit, à ses horreurs et ses dégoûts. A ces jeunes qui, désespérés, s'ouvrent les veines dans un hôtel miteux, avant que le Refuge ne puisse les accueillir. Et il pense alors à son père. Ce père qui avait dit : "je préfère encore avoir un fils en prison plutôt qu'un fils pédé. Ma semence devait être pourrie le jour où je t'ai fait". 13 ans. Il a fallu 13 ans au fils pour pardonner cette phrase. Pardonner le rejet. Puis accepter que la mort prenne ce père à qui il avait décidé, finalement, de pardonner. Un mois. Ils ont été réconciliés un mois. Puis la mort a frappé avant qu'ils ne puissent se rapprocher davantage. C'est ainsi. La seule consolation qu'il a, c'est d'avoir pu serrer la main de ce père mourant. De l'avoir accompagné jusqu'aux portes de la mort. Il s'en souvient. Il s'était passé des choses très étranges. Deux jours avant, une horloge du salon, celle qui ne sonne jamais, s'était mise à carillonner à tue-tête, sans que personne ne sache pourquoi. Puis, on l'a appelé pour lui dire que son père mourait. Il est allé à l'hôpital. Et là, il a tenu la main de ce père malaimant, certes, mais qui l'aimait quand même. Soudain, le rythme cardiaque s'est mis à baisser. 50, 40, 20, 10. Puis, plus rien. Il a senti deux présences. Une, paisible. L'autre, excédée, qui l'a presque bousculé. Puis, les mains de son père ont commencé à perdre leur chaleur. Après, il a passé deux jours à l'engueuler. A lui crier : "pourquoi ? Pourquoi tu pars alors que je viens juste de te retrouver ?" Il n'a pas voulu qu'on lui laisse un souvenir. Il ne voulait rien. Il n'a jamais tenu aux biens matériels. Il a tout laissé à cette veuve qui n'était pas sa mère. Il s'est quand même rendu dans une librairie. Le père et le fils n'avaient pas grand-chose en commun. Mais ils avaient au moins ça : ils aimaient lire. Alors, il a cherché dans les rayons un livre que tous les deux auraient aimé lire. Il l'a trouvé. Il l'a acheté. Il a décidé que cela serait le seul témoignage matériel qu'il garderait de son père. C'était en septembre 2012. Souvent, il s'est dit que son père n'avait même pas connu ce fameux 21 décembre que tout le monde promettait désastreux. Dommage !

L'humain est toujours assis.

J'ai ma main sur son épaule mais il ne la sent pas. Je voudrais lui dire qu'il ne doit en vouloir à personne. Et certainement pas au passé. Je voudrais lui dire qu'il a eu bien raison de fuir ce père. Que cela l'a sauvé. Qu'il a eu bien raison, aussi, de retourner le voir. Je voudrais lui dire que les faunes inspirent le faisan qui se cache afin d'échapper au chasseur. Ils inspirent également le rapace quand il plonge sur un mulot. Ils inspirent le chasseur. Ils inspirent le chassé. Car, pour les deux, il s'agit d'une question de survie. Cela n'est pas un paradoxe. C'est comme cela, c'est tout. Dans le monde animal, la vie se nourrit de la mort. Il n'y a que les plantes pour oser se nourrir de lumière. Et encore ! Le sol où elles plongent leurs racines est un amas de pourritures, de restes décomposés, de cadavres dispersés. Sans cette mort qui habite le sol, les plantes elles-mêmes ne vivraient pas.

L'humain pense à ces choses.

WP_20141026_025 (2)

Le lumignon porte sa lumière sur tous les détestés, les détestants, les exclus et les excluant. La nuit n'existe pas. Pas plus que la lumière. La vie n'est qu'une infinité de gris où personne n'a tort ni raison. Dans les brouillards de Samain, faunes et hommes se souviennent que leur chemin traverse des pénombres plus ou moins éclairées. Des colères et des moments de paix. Des certitudes et des doutes. Des amours et des haines. C'est comme ça.

Et cela ne m'empêchera pas de vous faire des bisous cornus.

 

Publicité
Commentaires
Publicité
Le sentier des faunes
Publicité