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4 juillet 2014

Le Sabbat des Sorcières d'Ellezelles

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Chaque dernier samedi de Juin, le petit village d'Ellezelles vibre au son des sorcières. L'endroit est situé à un jet de pierres de chez moi, en plein coeur de ce Pays des Collines tout hérissé de saules têtards. Cette année, la pluie a quelque peu gâché la fête, je l'avoue. Ce qui n'a pas empêché les Chorchîlles d'arpenter les ruelles du village. Des sorcières, ici, il y en a partout, toute l'année. En fresque sur les murs, dans les vitrines, sous forme de bas-reliefs ou de statues de bronze, en girouette, en bois. En ce jour de Sabbat, devant l'église, une énorme effigie est dressée, toute feuillue. Elle est accompagnée de sa chouette, symbole de la région. A côté d'elle, se hérisse un chat noir de la même teneur, quasi aussi grand qu'elle.

Sur la place, les visiteurs sont massés là, sous les tonnelles, et la Quintine, la bière de la région, coule à flot. Elle coule aussi d'entre les jambes de la Pichoûre, la sorcière pisseuse, appréciée des enfants et chargée de superstition. Oui, vous avez bien lu, en ce jour de Sabbat, c'est de la bière qu'elle pisse. Sur le marché artisanal, la vieille ridée est à l'honneur. On trouve tout d'abord des sorcières en bois, magnifiques, il faut le dire, quasiment grandeur nature. Et d'autres, plus petites, peut-être plus convenues, entassées sur la table d'une échoppe. Il y a aussi les "vraies" sorcières. Enfin, celles de la confrérie du village. Chaque année, en pareille date, elles se mêlent à la foule. Elles arrivent derrière vous, à pas menus, se glissent à votre oreille avec la discrétion d'une souris et, soudain, crient, ricanent, hurlent à vous en percer les tympans. Ou alors, elles vous fessent de leur ramon, caressent le cul des hommes, soulèvent une jupe. On les surveille du coin de l'oeil, amusé. Non, on n'a pas envie de se laisser surprendre par une de ces femelles coquines au visage effrayant. Et pourtant, elles y arriveront. De temps en temps, elles jouent avec un marmot, ou prennent la pose, cabotines, heureuses de vous offrir leur meilleur profil.

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Un peu plus loin, une artisane cornue vend ses oeuvres inspirées du folklore mais les recrée à sa façon. Là, une fée gourmande, cul nu, la tête plongée dans un chaudron. Ici, un bébé lutin, qui dort dans son couffin. Un garou se fraie un chemin à travers les étals.

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 Une compagnie de médiévistes a dressé sa tente et sa table où les cornes à boire se mêlent aux peaux de tête. On vend aussi liqueurs de la région, chocolats, et quantité de bières inspirées des légendes du cru. Tout au bout de la rue, une dame a installé son échoppe débordant de bouquins, de pierres, d'huiles essentielles, d'encens, de colliers, de bijoux.  Il pleut, c'est vrai. Les parapluies sont largement ouverts et les capuches sont de rigueur. Seules les sorcières semblent s'en accomoder. Il faut dire qu'elles sont toutes enchâlées de grosse laine bleue ou grises, coiffées de fichus de couleurs et qu'elles arborent des tabliers sexy. Au pied du piloris, là où, dit-on les sorcères furent exposées au public lors de l'Inquisition, un cercle de pierres blanches est tracé tandis qu'on s'y agite en préparation de la fête.

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Car, oui, il s'agit d'une fête. Et pas seulement d'un marché d'artisans. A la maison du Pays des Collines (le musée des sorcières), un écrivain et un illustrateur dédicacent leur bouquin "Fées et follets au Pays des Collines". Une chance. Le livre vient tout juste de sortir. Et j'espère y trouver les sources fabuleuses et créatures pleines de malice qui peuplent les venelles d'ici. J'ai la chance de vivre sur une terre de légendes. Dans ma Belgique discrète, qui aime peu parler d'elle, il demeure des lieux-dits, des histoires qu'on raconte encore. La région où je vis en fourmille. Il faut dire que ses chemins sont tortueux, les bosquets y sont sombres. Le soir, les chouettes sont nombreuses et les arbres sont bruyants. Les saules têtards dessinent dans la pénombre mouillée des silhouettes terribles. Ma belle-mère m'a récemment raconté que, quand elle était enfant, à la veille de la Toussaint, on allumait encore des lumerottes et les gamins allaient poser des figurines étranges, sculptées dans des betteraves, dans le jardin des vieux qu'ils souhaitaient effrayer.

Le Sabbat annuel d'Ellezelles est, en vérité, une commémoration. Dans les années 1970, on exhuma des ténèbres de l'histoire les pages sombres des persécutions. En seule Province du Hainaut, deux cent sorcières ou prétendues telles furent exécutées. A l'époque, nous étions sous domination espagnole. A Ellezelles, en particulier, deux vagues d'exécution eurent lieu. 

La première en 1599. Le 10 mars, on exécuta donc :

-Jeanne du Transvoit, âgée de 70 ans, torturée deux fois,

-Donasse le Latteur âgée de 56 ans, torturée une fois,

et Catherine de le Vallee âgée de 60 ans, torturée 1 fois.

La deuxième vague eut lieu en 1610. Le 26 octobre on exécuta :

-Agnesse de  la Plache, âgée de 80 ans et torturée deux fois,

-Martine de le Vigne, âgée de 50 ans et torturée deux fois,

-Catherine de le Voye, âgée de 60 ans et torturée deux fois,

-Quintinne de le Glisserie, âgée de 38 ans, torturée une fois,

et Magdelaine Lestarquin âgée de 65 ans et torturée deux fois.

Car oui, il y eut torture. Et oui encore, ces femmes furent exécutées. Exposées au pilori à Ellezelles, elles furent ensuite pendues, puis brûlées à Lessines.Qu'avaient fait ces femmes pour mériter ce sort ? Avaient-elle atteint un âge jugé trop avancé pour l'époque ? A tel point qu'elles devaient, forcément, être aidées par quelque créature surnaturelle ? Que leur reprochait-on ? Je n'en sais trop rien.

Jacques Vandewattyne, dans les années 70, rendit à ces femmes leur histoire oubliée. "Plus jamais, dit-il, on ne brûlera de sorcière à Ellezelles". Le sabbat qui a lieu chaque année le dernier samedi de Juin commémore ces faits regrettables. Les chorchîles se rassemblent à la nuit tombée en un lieu de campagne. Là, devant la foule qui les a suivis, elles confient au Djâl le récit de leurs maléfices, de leurs méfaits. L'ensemble tient de la farce. On rit. On s'amuse. Les politiciens et les notables ne sont pas épargnés. S'ils ont mal agi dans l'année, c'est que, bien sûr, ils furent ensorcelés. Chacune de ces Chorchîlles est remerciée d'une louchée de potion. Puis le maître cornu choisit la Reine du Sabbat. A ce moment, les réjouissances s'interrompent. La milice intervient.  Le parti pris, la bêtise, le jugement arbitraire sont mis en scène. Les sorcières sont capturées, condamnées, puis, enfin, pendues et brûlées. Telles que le furent ces dames du passé. Celles-là mêmes dont on célèbre la mémoire. Jadis, les compagnies théâtrales se moquaient des puissants. Cette fête a des vertus semblables. il ne s'agit pas de célébrer ce qui fut, finalement, un meurtre, de lui donner raison, mais au contraire d'en dénoncer les artifices et la bêtise. La sorcière mise en scène est celle des ténèbres d'Halloween. Elle symbolise nos peurs profondes. Elle représente ce besoin que nous avons de trouver le bouc émissaire. La personne que l'on peut accuser des mauvaises choses qui nous arrivent. Cette sorcière-là est vieille, elle a le nez crochu. Elle est montrée comme la décrivent les contes. Avec son balai, ses verrues et ses rides.  Le bûcher renvoie, lui, à la lâcheté des hommes qui croient, ainsi, exorciser leur peur. Ce qui est faux, d'ailleurs. Car la peur reviendra.

Chaque année, le spectacle est réinterprété, retravaillé, remis en scène. Je vous invite à en visualiser les photos de 2014 sur le lien qui se trouve ici

Quintinne, une des huit condamnées, est devenue un vrai symbole dans la région. C'est, vous l'aurez remarqué, la plus jeune des sorcières exécutées en 1610. Elle a donné son nom à une bière très connue dans la région, la Quintine. La même que la Pichoûre pisse en ce jour. Elle a sa géante, sa statue. Jadis, l'étiquette du breuvage était frappée d'une effigie vieillote. Avec le temps, la sorcière chevauchant son balai a rajeuni ses formes. Quintinne, somme toute n'avait que 38 ans quand la bêtise humaine jugea commode de la conduire au bûcher. Du tumulus de l'Aulnoit, la butte dite aux sorcières, on dit que "I n'a jamais rî poussé su ceul butte là pac'queu c'eut l'Mareu à Chorchîles" (il n'a jamais rien poussé sur cette butte-là parce que c'est le marais aux sorcières). Il fut dit que c'est là que l'on brûla jadis les cinq sorcières citées. Mais à la vérité, il semblerait que ce soit à Lessines que l'on commit cette atrocité. C'est en tout cas ce que nous a affirmé la guide qui nous a conduits sur le Sentier de l'Etrange ce 28 juin. Mais de ce sentier-là, il sera question lors d'un prochain billet. Il le mérite, à lui seul.

quintine

 

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