Un Belge sur une Ile

L'ïle de Ré. Ses venelles blanches aux volets verts, toutes hérissées de roses trémières. Ses mauves foisonnantes. Ses tamaris aux feuilles suant le sel. Nous venons de passer une semaine sur cette île. Malgré un programme bien chargé, nous avons pris le temps nécessaire pour rencontrer la flore et la faune insulaire. La Rose trémière abonde partout, déployant ses robes scintillantes. Les chardons se mêlent aux moutardes, aux coquelicots, aux immortelles. J'ai caressé les feuilles piquantes des cardaires, surpris le genêt dans sa floraison, écouté le chant des mouettes rieuses.

Un matin, pendant que Grand paressait en lisant au bord de la mer, je me suis livré tout entier à ces galets déserts. J'ai avancé dans le coeur de "l'étale", en ce moment précis où la marée cesse d'avancer mais ne se retire pas encore. L'instant étrange où l'océan suspend son balancement. Où la lune se détache de lui. J'ai cueilli les gerbes décumes, y surprenant des créatures cornues, étincelantes. Je me suis accroupi au milieu du peuple des bulots, des berniques et des huîtres. J'ai songé aux écluses à poissons, couvertes à ce moment par la marée, aux murs tout encroûtés d'huîtres emboîtées les unes aux autres. Quelle abondance ! Quel foisonnement ! Quel bonheur d'être là. A la lisière des eaux. Au milieu du varech moussu.  

Quand je m'assieds près d'une cascade, il est rare que je ne puisse entendre des mots, des phrases, comme des éclaboussures cristallines. Qui ont parfois un sens. Parfois pas. Mais les cascades me parlent, cela m'étonne toujours. La mer, par contre, est un grondement féroce, un tumulte fabuleux où les voix me sont inaudibles. Je n'entends pas les phrases de la mer. Cela me frustre mais c'est ainsi. Cela ne m'empêche pas d'aimer son vent, son sable humide et sa richesse.

Dressé sur cette plage déserte, j'ai parlé avec l'océan. Je l'ai remercié pour sa beauté, sa puissance, son abondance, sa fécondité. J'ai parlé également à Lune. Lune est pour moi mâle et femelle. Tout comme Soleil, d'ailleurs. Je suis frère de la Tribu Verte, dont la plupart des membres sont hermaphrodites. Je raisonne peu en termes de masculin, de féminin. Les plantes sont à l'image du Tout. A la fois mâles et femelles, sans être l'un ou l'autre. Lune est cornue. Lune est ronde. Lune est Déesse et Dieu. Je l'ai tracé-e du doigt dans le sable humide. J'ai songé qu'autrefois ma grand-mère m'appellait "Jean de la Lune" et que mon grand-père, lui, était marin. Je me suis recueilli en pensant à eux. L'océan et la mer m'ont toujours ramené à eux. A leur amour. A la lumière de ce qu'ils ont été pour moi.

J'ai laissé sur le sable ma maigre offrande humaine. Et l'océan m'a remercié, me conduisant vers quelques-uns de ses trésors. Une araignée de mer, énorme. Un poisson long comme mon bras, échoué sur le sable. Un oeuf de raie. Une éponge aussi grosse que mes mains réunies. Des morceaux de coraux.

Puis Grand a quitté sa lecture et m'a rejoint sur la plage de galets. "Je t'ai vu de loin", il m'a dit. "Et j'ai pensé que tu étais encore en train de penser à tes grands-parents."

J'ai rassemblé dans une bouteille du sable de la plage, un coquillage, un morceau de fucus, du varech, un peu d'éponge, une fleur de mauve, un chardon et un bouton de rose trémière. J'a conservé le tout et l'ai ramené sur ma terre belge et blanche. J'ai le souvenir d'avoir parlé avec la mer et d'avoir tellement fort goûté le vent.