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19 juin 2015

Faeries or not faeries - Nouvelle

faeries world

"Faeries or not faeries" est une nouvelle que j'ai écrite en 2009 et qui fut publiée à l'époque par l'Armoire aux épices. Le solstice d'été approchant, il m'a paru normal de la partager avec vous. Donc, non, ceci ne décrit pas une expérience réelle que j'aurais vécue. C'est de la fiction. Une histoire sur fond de sorcellerie et de féérie. Je vous en souhaite une bonne lecture. Et surtout une excellente semaine.

 

« Sorcière éclectique solitaire ». C’est sous ce vocable pompeux que ‘Tiana se résume depuis qu’elle a lu ce fameux ouvrage sur la wicca : « Pour l’amour de la Mère ». Je me souviens très bien des circonstances de cette révélation. D’abord la librairie. Obscure, avec la porte qui grince, poussiéreuse à mourir. Allez savoir pourquoi le livre était tombé de l’étalage, comme déplacé par une force invisible. La couverture ornée d’un pentacle doré avait tout de suite plu à ma ‘Tiana. Elle l’avait ramassé. Elle l’avait retourné. Je remarquai de suite une certaine brillance dans son regard alors qu’elle parcourait, fiévreuse, le tentateur quatrième de couverture. J’y lus d’emblée le genre d’émotion forte que chacun d’entre nous a au moins une fois ressenti dans sa vie. Genre « ce-livre-il-me-le-faut-absolument ». Je suis à peu près sûr que ses hormones féministes étaient tout affolées tandis qu’elle feuilletait ce grimoire rédigé à la gloire du féminin sacré, rempli de charmes et de formules magiques. Pensez donc ! Après des années de recherche spirituelle, ‘Tiana se découvrait enfin une religion. Elle se voyait déjà vénérer La Triade Divine, à poil, dans une caverne bourrée de fresques peintes par des néo-hippies gavés de LSD. Dieu le Père ayant perdu la cote auprès d’elle depuis qu’un prêtre lui a montré son cierge, elle allait vénérer l’autre pôle. Non, pas Satan ! La Terre Mère ! Elle deviendrait wiccane.

Je ne fus pas déçu, je vous le dis franchement. Aucune des fêtes païennes ne me fut épargnée depuis ce jour maudit. A chaque pleine lune, l’appartement s’enfonce dans les fumées d’encens, comme Londres dans la Tamise. ‘Tiana a ses lubies. Par exemple, elle ouvre la fenêtre du salon pendant ses rituels. Pourquoi ? Eh bien, pour que l’astre brillant profite au mieux de ses offrandes, pardi. Et cela même en plein hiver.  La pneumonie qu’elle s’est chopée, l’année dernière, en promenant ses nichons par le froid glacial de janvier, n’a bien entendu rien changé du tout à l’affaire.

Si elle avait œuvré en réelle solitaire, le problème aurait été moindre, comprenez bien. Mais elle voulait absolument que je la rejoignisse dans ses délires. Et cela, depuis le début. Hélas, je dois bien l’avouer : l’idée d’entrer en transe, nu devant un chaudron, en invoquant des dieux morts depuis belle lurette, n’a rien de jouissif pour l’informaticien lambda. A fortiori quand il se prétend, comme moi, « irrévocablement athée et réfractaire à toute idée paranormale ».

J’ai dès lors refusé le city-trip hivernal à Stonehenge, repoussé à plus tard la retraite à Salem et consenti du bout des lèvres aux citrouilles rigolardes d’Halloween. Pardon, de Samhain ! Mais quand ma chère et tendre me demanda, à nouveau, de fêter un sabbat avec elle, je ne me doutais pas de quelle folie j’allais être l’objet. J’aurais dû refuser, comme toutes les autres fois. Hélas pour moi, la garce me prit de court. Le 21 juin, tout le monde le sait, c’est la fête de la musique. Des potes eurent l’excellente idée, deux semaines avant, de m’inviter à un concert. Hélas, je déteste carrément ce genre de réunion ethnique.

-Mais si, allez, cela va te faire du bien !

-Non, désolé. J’ai prévu une soirée…euh, intime, avec ‘Tiana le 21.

Ma folle de femme ne prit pas cet aveu pour futile. Je sentis, je le jure, ses yeux félins qui me croquaient tout cru. Une soirée intime, tu parles ! Elle en avait déduit qu’enfin, je consentais à fêter « Litha » avec elle. Vu que tel est le nom du sabbat du solstice d’été. Toutes mes tentatives de recul furent, bien sûr, esquivées avec soin.  Les jours passèrent. Je n’en menais pas large. Je n’avais même pas le prétexte d’un surplus de travail au bureau, l’entreprise fermant une semaine pour cause de congé annuel.

Nous y voilà. C’est le jour J.

‘Tiana a cru bon d’expliquer qu’en ce temps de soleil maximal, les forces masculines sont vénérées. J’imagine, le temps d’un battement de cil, mon gland dressé coiffé d’une couronne toute en or, comme le jour de la galette des rois. Pourtant, cela n’a pas grand chose à voir avec le programme qui m’attend.

Mes copains se trémoussent au concert. Quant à moi,…je suis à poil avec ma chère et tendre dans un vieux parc abandonné à faire le pitre en agitant un athamé. Vous n’imaginez même pas ma terreur. Ou plutôt ma honte ! ‘Tiana  nous a en effet concocté une « vraie » potion magique ! Vous auriez dû la voir tout à l’heure dans la cuisine, les poings serrés sur un bol en terre cuite. Elle le chargeait d’énergie, disait-elle, en roucoulant d’étranges syllabes. Cette fois, c’était certain, elle allait me sacrifier comme le font les mantes religieuses. Célébration des forces masculines ! Mon œil, oui. J’allais me retrouver castré, j’en avais l’intuition.

Un peu avant le crépuscule, nous avons embarqué dans un sac de cuir noir bougies, pentacles, couteaux et diverses coupelles argentées. ‘Tiana semble connaître le parc. J’imagine que ce n’est pas la première fois qu’elle y vient. Les ronces mêlées aux hortensias doivent composer la touche femelle, à la fois suave et perfide, qui la séduit pour son travail magique. En un éclair, elle a ôté ses vêtements. La voir ainsi, blanche, nue, laiteuse statue de marbre dans l’ombre grandissant, j’en suis plus perturbé encore. Le sabbat promet de surprendre.

Maintenant que je me suis, à mon tour, délesté de mon jeans et de ma chemise de bûcheron, la cérémonie peut commencer. ‘Tiana a tracé dans les airs un cercle dit magique dans lequel nous sommes enfermés. La nuit qui monte autour de nous la couvre d’ombres et de lumières à mesure qu’elle allume les bougies et les place en étoile. Des langues chaudes, dorées, lui mangent la peau. Et mes yeux la prennent en dessert. Intrigué, j’attends sans piper mot. L’odeur forte que le crépuscule libère tresse sa toile tout autour de nous. Sous mes pieds nus, je sens l’herbe encore tiède. La terre rend le soleil qu’elle a bu tout le jour.

Après avoir successivement « invité la déesse » et « convoqué gnomes et sylphides », ‘Tiana approche une coupelle en argent de ma poitrine. C’est à moi de jouer. Pendant qu’elle mâche de terrifiantes incantations en fixant les étoiles, je maintiens le poignard de cérémonie au-dessus de la coupe. Seigneur, que je me sens idiot ! Je tremble à l’idée qu’un clochard nous tombe dessus. Ou pire encore, les flics ! Mais les dieux sont avec nous. Christiana me le jure.

La mixture qu’elle nous a préparée est sensée, tenez-vous bien, « nous faire entrer dans le pays des fées ». Comme je suis à peu près certain de l’échec d’une pareille opération, je me laisse faire, impatient d’en finir. Féline, ma chère compagne s’approche de moi. Je tends les mains vers elle, croyant avec une navrante naïveté que la potion doit être bue. Il n’en est rien. ‘Tiana plonge les doigts dans l’étrange liquide et commence, à ma grande surprise, à m’en caresser la peau.

Lentement, ses mains parcourent la forêt de mon corps. Elles y dessinent avec patience de jeunes rivières et des sentiers noueux. Le bout de ses doigts fins me salue le cuir chevelu puis me ferme doucement les yeux. La sensation est enivrante. Les plantes broyées libèrent sur moi leurs saveurs vertes, épicées. Elles coulent tout le long de mon cou, telles des gouttes de sève tombées des feuilles des arbres. Je sens l’haleine de Christiana, chargée de menthe et de thym citronné rouler sur les poils de ma barbe. Ses mains s’agitent. Elles dansent sans jamais s’éloigner de moi. L’herbage de ma poitrine libère des perles de sueur qu’elle mêle aux terres de sa potion. Mon parfum mâle s’échappe de moi. Les yeux ainsi fermés, j’ai la vision de plaines brûlées par le soleil, d’écorces africaines, de savanes boisées. Je respire légèrement plus vite. C’est comme un animal qui se réveille en moi. Il accueille un plaisir félin, ronronnant, fabuleux. Un plaisir chaud que ‘Tiana pose patiemment, feuille après feuille, goutte après goutte, sur le grain de ma peau.

Des arabesques s’éveillent, qu’elle dessine peu à peu. Elles s’allongent sur mon ventre, entourent le fier rocher que mes broussailles protègent. J’ai envie de presser ses lèvres chaudes sur la chair rose que je sens s’agiter tout en bas de mon ventre.

Mais ce n’est hélas pas le propos. Ma magicienne poursuit son œuvre en traçant sa fresque parfumée sur mes genoux et sur mes pieds. Quand ses doigts rejoignent le sol, j’ai l’impression d’être un arbuste dont la tiédeur du crépuscule vient libérer tous les parfums. Je me sens arbre et animal. Chaud et fort. Rempli et éveillé. Bref, révélé aux puissances, euh, j’allais dire « masculines ».

-Ouvre les yeux, dit-elle

Elle se tient devant moi, un peu plus sombre et légèrement cuivrée. Les bougies allumées tremblent encore. Je la trouve plus belle que jamais. J’ai même oublié l’insolite de la situation. ‘Tiana me tend le bol.

-A ton tour à présent.

Au toucher, la mixture est plus grenue que je ne le croyais. Je me regarde et je découvre le mystérieux graphisme dont elle vient en quelques minutes de me couvrir le corps. Je renonce à l’idée de reproduire cette œuvre d’art et décide de m’abandonner à la caresse, aux courbes et aux spirales que mes doigts ont envie de tracer. L’odeur nue de sa peau se mêle aux envolées herbeuses. A chaque fois que j’approche mes narines de sa chair, j’ai envie de la mordre, de la lécher, de la manger. Affolante gourmandise. Cependant, des forces invisibles m’entraînent toujours plus loin.

‘Tiana, tandis que je compose mes tendres caresses aromatiques, murmure des mots que je ne comprends pas. Des formules. Des invocations. Dans une langue inconnue qui ressemble à un ronronnement. Curieusement, je m’en sens excité. L’idée me vient d’oindre mon gland de la potion verdâttre. Un sourire réchauffe son visage tandis que je le guide comme un pinceau vivant. Je trace sur son ventre d’autres fresques vibrantes, d’autres esquisses salées.

Quand mes doigts reprennent le relais, la voix de Christiana se fait plus forte. Le visage dressé vers la nuit, elle répète comme une litanie « I ask the Faeries’ world to get opened to us. I ask the Faeries’ world to get opened to us ».

« Je demande au monde des fées de s’ouvrir à nous ». Ma chérie a toujours eu des fantasmes britanniques ! Il faut dire que la plupart de ces bouquins sur la wicca sont en anglais.

Doucement, j’achève mon œuvre. Mes mains, enfin, touchent la terre.

La suite est floue comme un roman d’auteur rédigé sous absinthe. Je me souviens d’une sensation ouatée et, surtout, de l’impression désagréable d’être emporté dans un long tourbillon. Tout cela dans une lumière verte de boîte de nuit. Comme si je m’en allais dans un profond sommeil.

La fraîcheur d’un sol dur me réveille brusquement. ‘Tiana est à côté de moi. Nous sommes nus et toujours recouverts de nos fresques amoureuses. Mais il n’y a plus trace de ce vieux parc ni d’athamé ni de potion, fut-elle magique ou pas.

En revanche, une créature dotée d’impressionnantes chaussures nous regarde, amusée, assise sur une chaise mauve. Chacune de ses arcades sourcilières supporte un piercing lumineux. Son top, en lycra rose fluo, lui moule honteusement les tétons.

Je parcours du regard l’endroit où nous sommes atterris. Je vois des ombres s’agiter là, au fond d’une pièce dont je n’aperçois pas vraiment le bout. Un brouillard, qui pourrait être de la fumée de cigarette, nous enveloppe. Des halètements, des gémissements parviennent à mes oreilles. ‘Tiana se couvre la poitrine. Je ne crois pas que c’est ainsi qu’elle a imaginé le monde des fées. Moi non plus, par ailleurs. Où sommes-nous donc ?

D’emblée, je repousse l’idée que la potion bue trois secondes avant puisse être à l’origine de ce délire. Ses ingrédients, que j’ai achetés moi-même, n’avaient absolument rien de psychotrope. Je refuse également que les incantations crachées par ma chérie aient eu un tel effet. Pourtant, la vérité est là, devant nous, incarnée sous la forme d’une espèce de lutin maquillé comme un bus hippie. ‘Tiana paraît aussi éberluée que moi.

Le personnage juché sur sa chaise mauve consent à nous parler :

-Qu’est-ce tu fiches ici avec cette bonne femme ?

Sa voix est grave, pour ne pas dire caverneuse. Imaginez Garou qui chanterait habillé en drag queen et vous aurez une vague idée de ce que j’éprouve à cet instant précis. C’est que la créature ne manque pas de couleur. Outre le maquillage et les peintures criardes, elle porte également une espèce de boa argenté noué à sa ceinture. Ce n’est ni Noël, ni la gay pride mais le lutin n’en a cure. Ce sont nous les intrus dans son monde. Pas lui.

‘Tiana n’ayant apparemment pas la cote à ses yeux, il poursuit en me contemplant :

-Vous avez les yeux totalement injectés. Laissez-moi deviner. Vous avez fumé ? A voir vos têtes, on dirait que vous avez mis des cônes de cannabis à brûler sur l’autel du Saint Père.

Le lutin regarde à présent Christiana avec le dégoût qu’on réserve d’habitude aux grosses femmes échouées sur la plage en été.

Le ton des gémissements qui montent de la pénombre m’inquiète de plus en plus. Où diable sommes-nous tombés ?

Soudain, l’incantation que marmonnait ‘Tiana me revient en mémoire : “I ask the Faeries’ world to get opened to us. »

The Faeries’ worldUn frisson me parcourt. Je crois que je viens de comprendre. Je ne conçois évidemment pas du tout la manière dont nous nous sommes téléportés. Mais une chose est certaine, nous ne sommes pas chez les fées. Enfin,…, en tout cas pas chez celles qu’elle souhaitait rencontrer.

La bouche pâteuse, je me retourne sur ma chère et tendre :

-The Faerie’s world, hein ? Quand tu voudras faire encore la maligne, évite de le faire en anglais. Nous sommes tombés dans la back room d’un bar gay. 

‘Tiana frissonne :

-Une quoi ? Je….je ne comprends pas ce que tu veux dire »

-C’est pourtant simple, espèce d’anglophile à la manque, « faeries », cela ne veut pas seulement dire « féérie » ou « fée », cela signifie également « homo » et même « homo efféminé », si tu vois ce que je veux dire.

‘Tiana voit parfaitement.

Quant à moi, je viens de recevoir sur les fesses la coupe toute chaude d’une main velue. Au sourire du lutin rose, je devine bien quelles forces masculines il a envie de célébrer maintenant. Pas franchement excité à cette idée nouvelle, je glousse :

-Pour rentrer au monde des hétéros, comment on fait ?

Le sourire du lutin s’efface, manifestement déçu :

-Tu fais comme d’habitude, chéri. Tu passes la porte et tu cours dans la rue. Hétéro-land, c’est partout ailleurs, dit-il en embrassant le monde entier d’un simple geste.

Hétéro-land, c’est partout ailleurs. Le fait qu’il faille seulement franchir une vulgaire porte pour s’échapper d’ici me semble tout à coup indécent. Pour le type que je suis, entrer dans un bar gay, c’est vraiment pénétrer dans une autre réalité. Je ne peux m’empêcher d’émettre un rire gêné à cette pensée machiste. Hélas, ça ne suffit pas à ce que le lutin retrouve son sourire. Pour lui, hétéro-land comme il a dit, c’est un monde dont il faut toujours se méfier. Car certaines gens ont le mépris facile. D’un coup d’ongle sur la chaise mauve, il conclut bizarrement :

-Mais peut-être qu’un jour les deux mondes s’ouvriront réellement l’un à l’autre…Qui sait ?

Peut-être bien, oui. Avec l’aide de la magie, sans doute ! Le lutin se détourne de nous. Il ne nous regardera plus. Je suppose qu’il faudrait appeler un taxi. Si celui-ci accepte de prendre à son bord deux humains à poil, bien sûr. ‘Tiana se blottit contre moi. Je frissonne. Mais ce n’est pas de froid.  C’est un étrange sentiment. Je baisse les yeux.

C’était Shakespeare, je pense, qui, dans son « songe d’une nuit d’été », parlait d’une nuit où le monde des fées s’ouvre à celui des hommes, et inversement. S’ouvrir, c’est bien le mot. Franchir les murs de l’invisible.

Quand on est enfant, on veut toujours savoir ce qui se passe derrière les portes closes. On se demande rarement pourquoi elles sont fermées.

 

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