Les ailes d'un ange - le Sapin argenté

Voilà un arbre dont le symbolisme est profond et mystérieux. Il règne sur les journées froides de l'hiver, la pénombre des forêts et le silence glacé. Il aime beaucoup les hauteurs et c'est ainsi que je le perçois d'emblée. Il attire vers le haut celui qui accepte de comprendre que les branches du sapin ne sont pas simplement des branches. Ce sont des ailes. L'air est son élément. Et une bienveillance formidable l'habite. Non, ce n'est pas un hasard s'il arrive qu'on suspende des anges à ses branches.

Le sapin représente aux humains les festivités des jours sombres. Nous l'habillons de couleur et de lumières. Cette habitude est, certes, récente et n'a envahi nos régions qu'au cours du vingtième siècle. Longtemps, ce n'est d'ailleurs pas le sapin qui a joué ce rôle. Mais bien l'épicéa. Celui-là est d'ailleurs accusé d'avoir apauvri les sols de nos forêts d'Ardenne et le sapin lui est de plus en plus préféré. Y compris dans nos salons car le sapin de Nordmann, très apprécié pour jouer cet office, perd beaucoup moins ses aiguilles qu'un épicéa.

Quand je respire l'huile essentielle de sapin argenté, je perçois une matière très grasse, épaisse, grisâtre. Petit à petit, elle se répand dans mes poumons et j'y ressens de la fraîcheur, la présence profonde, nécessaire, de l'arbre respiratoire. Je sens le Sapin y placer sa médecine, je le sens purifier l'air qui palpite en moi, mais également autour de moi. Ce qui m'étonne surtout, c'est cette sensation merveilleuse d'être en présence d'un ange. Un ange capable d'ouvrir mon coeur au monde, à tout ce qui m'entoure, qu'il soit vert, animal, ou même qu'il appartienne au monde de l'invisible. Je me sens capable, avec le Sapin, de me lier plus profondément encore aux êtres de verdure. Voire même de ressentir la présence lourde, mystérieuse et secrète des gnomes qui habitent les racines. D'ailleurs, ils se présentent à moi alors que je médite en compagnie du Sapin blanc.

M'étant plongé encore plus profondément dans ce contact avec cet arbre, je vois l'image d'un chalet perdu en forêt, habité par une matronne bienveillante, tournant dans sa marmite, image que je sais symbolique pour moi de soin, de sécurité, de confort et d'entraide. Le Sapin éveille du bon en nous. Il nous élève sur les ailes de ses branches et nous invite à contempler le firmament de l'infini. Pas seulement les étoiles mais également les êtres, vivants ou invisibles, qui peuplent notre planète, qui cohabitent avec nous. Un sentiment d'union, d'unité, de profondeur et de mystère habite une forêt de sapins. Il est possible d'y ressentir une paix fabuleuse de l'esprit. De s'y sentir vivant. A la fois minuscule et géant.

Le bois de sapin, si commun autrefois dans la fabrication de cercueils a procuré un sens particulier à cette phrase-là : « ça sent le sapin ». Elle signifie souvent « cela va mal se terminer ». Cela est bien dommage. L'odeur de sapin devrait tout au contraire être un symbole de commencement. Le début d'une union de soi avec le monde. Une ouverture sur l'infini. Le désir fou de rayonner d'un amour merveilleux. Il ne s'agit pas tant d'aimer l'humanité que d'accepter que cet amour déborde l'humanité. Qu'il s'étende jusqu'aux peuples verts, aux tribus animales. Qu'il englobe le peuple des fées, des ancêtres et des êtres à venir. Le Sapin me fait part d'un enseignement que je ne soupçonnais pas recevoir de lui : « ne rends pas l'autre responsable de tes malheurs. Ne le rends coupable de rien. La culpabilité ne sert à rien. Parfois, la recherche éperdue de justice empêche les hommes de simplement aimer. Aime jusqu'à l'araignée, jusqu'à l'ortie qui t'envahit, aux gnomes de bien trop triste réputation. »