L'âpre négociant - le Génévrier

Comme bon nombre de conifères, l'huile essentielle de Genévrier m'évoque le gris, la densité et la lourdeur. Au premier contact, c'est fort désagréable. Pourtant, une poudre sucrée, d'un bleu sombre, enrobe cette odeur-là, qui l'adoucit. Voilà une plante âpre et sévère, c'est vrai. Mais pas seulement. Elle sait combien chaque résultat est le fruit d'un effort. Rien n'est gratuit en ce bas monde. Tout se paie. L'amour inconditionnel n'est pas son terrain de jeu. Pour cet arbuste, tout est échange. Si on veut réellement profiter de ce que l'on reçoit, il faut donner quelque chose en contrepartie. « Chacune des gouttes de mon huile est le fruit d'un travail » Et ce travail doit être respecté. L'image d'une dame encapuchée me vient. Elle n'est ni vieille, ni jeune, mais elle est fortement attentive à ce qu'elle accomplit. Elle marche avec prudence et lenteur sur un sol rocailleux, dangereux et hostile. C'est l'hiver. Le vent souffle. La dame est une chasseresse. Elle relève les pièges qu'elle a tendus. Pour elle, toute chose obtenue est le fruit d'un effort. On n'a rien sans rien, telle est la règle. Un rapace nocturne se pose à ses côtés et lui fait l'offrande d'une souris. Ne croyez pas toutefois que l'oiseau repartira sans qu'elle ne lui procure rien en échange. Elle aussi, lui donnera un morceau du gibier qu'elle aura capturé. Même quand on donne sans qu'à prioir il n'ait rien été demandé, il est normal de recevoir. La générosité sans bornes n'a aucun sens pour cet arbuste. Recevoir sans rien donner est semblable à du vol, pour lui. Une forme de non-respect des efforts accomplis, du sacrifice consenti. Il ne s'agit pas d'être avare et de ne rien vouloir lâcher. Il s'agit simplement de doser son effort et de favoriser un échange juste. Un échange où personne n'est perdant. Le Genévrier protège contre le vol, selon certains auteurs. Je suis sûr que c'est vrai. Je le crois également capable d'accompagner ceux qui veulent que leur travail soit reconnu, que leurs efforts soient récompensés. Le gaspillage est son ennemi. Il jette un oeil mauvais sur nos poubelles et nos déchêts. Sur l'homme qui pille sans prendre rien en compte, sans réparer, sans prévoir. Comment peut-on jeter ce sur quoi d'autres ont transpiré afin d'arriver à le fabriquer ? Recyclons. Ne prenons rien pour quoi nous ne pouvons offrir de contrepartie. Le Genévrier veille sur celui qui ne ménage pas ses efforts mais sait tout aussi bien en récolter le fruit. Il n'est ni du côté de l'exploiteur, ni de celui de l'exploité. Il veut un rapport sain entre les différentes forces du travail. Car si on n'a rien sans rien, il est vrai également que tout travail mérite salaire. C'est cette forme de sagesse, ancestrale, profondément enracinée, que je percois chez le Genévrier. A mille lieues de celui qui s'oublie, qui donne trop, qui prend trop, qui vole ou qui se laisse voler. Il y a un équilibre que cette plante-là défend. Tous les niveaux de la nature sont concernés. La plante qui a puisé beaucoup de ressources devra payer le prix. L'animal qui a trop chassé devra subir les conséquences de son avidité. Certains trouvent que le Genévrier est bien sévère quand ils l'approchent. Je crois plutôt qu'elle sait défendre son territoire et à celui qui veut prendre quelque chose qui lui appartient, elle répond : « et toi, que me donnes-tu en échange ? Quel respect as-tu pour ce que moi, j'ai mis des jours, des nuits à fabriquer ? ». Vous ne boirez plus votre genièvre de la même manière à présent. Si vous voulez respecter la sagesse de cet étonnant arbuste, pensez au temps qu'il a fallu pour que cette simple gorgée n'arrive jusqu'à vos lèvres. Quand au début tout était eau, lumière, air et terre, avant que la plante ne transforme et que l'homme y travaille. Non, on n'a rien sans rien.