La grande spirale de la Vigne Vierge

Par une journée chaude du mois d'août, je suis parti à la rencontre de la Vigne vierge. La première chose que je vis de ce monde fut ces deux pans de paravent ouverts sur un étrange labyrinthe. Un paravent au tissu pourpre et brodé. A l’intérieur, s'étirait un véritable dédale de chemins de terre parcouru de maisons rappellant très vaguement un de ces villages du Magrheb. Pas de façades blanches néanmoins mais une couleur terre cuite. Les fenêtres, souvent simples, s'ornaient parfois de vitraux colorés. Toutes étaient illuminées de l'intérieur, comme si un feu ou une bougie les frappaient. Beaucoup de marchands dans ces rues. Quelques danseuses aussi. Je pénétrai dans une de ces maisons et recherchai l’autel. Il était là. Il s'agissait d'un bouclier serti de pierres précieuses. Une lune dorée au premier croissant s'y trouvait suspendue. Alors, enfin, j'aperçus le personnage sous la forme duquel l'esprit de la Vigne Vierge avait choisi de m'apparaître. Impossible de dire son sexe. Il ressemblait à un marchand dont on devinait l'opulente chevelure noire dissimulée sous un turban. Il portait de  très riches tissus lui composant un vêtement ample. Son visage étrangement féminin arborait une très fine moustache. Dans un chandelier de bois ouvragé se consumait une chandelle de couleur bleu nuit. Sa flamme jaune, très légèrement rosée, ne présentait aucune caractéristique particulière si ce n'est cette intriguante couleur pastel. La coupe, ouvragée elle aussi, affichait sur ses bords trois grosses turquoises. Il ne s'agissait pas d'une coupe de métal mais bien d'une coupe en bois, semblable au fond au chandelier. Elle entourait un bol en verre finement cisaillé et rempli d’un liquide vert pistache. Quand je le bus avec mes lèvres de l'âme, je lui trouvai un goût proche du rosé sans pouvoir affirmer qu'il s'agissait réellement de vin. J'aperçus alors trois images. Un voilier pris dans la tempête et un conseil me traversant l'esprit : « ne t’attarde pas sur le passé ». Je vis aussi un masque de cuivre surmonté de trois rayons de lumière ocre. Et enfin un trèfle à trois feuilles. Je recherchai le livre et le trouvai dans un coin de la pièce. Il n'avait rien de particulier. Le personnage se leva, s'en approcha, mais sembla hésitant à y écrire. Enfin, il brandit, non une plume, mais un chapelet de bulles d’argent ressemblant à des boules de cristal et souffla dessus comme s'il s'était agi de simples bulles de savon. Elles dessinèrent un mot artistiquement calligraphié : Algèbre ? Abrège ? Impossible de le dire. Par la fenêtre, je perçus alors une livrée de cerfs volants colorés tournoyant dans le ciel. Le personnage me dit à ce moment : « nombreux sont les chemins ». En guise de cadeau, mon âme offrit à l'esprit de la Vigne Vierge une bourse de cuir, que le personnage retourna aussitôt afin de la transformer... en montgolfière.

 Il est évident que beaucoup de symboles de richesse et d’abondance apparaissent dans cette méditation, dans les tissus, les objets sont ouvragés, sertis de pierres précieuses.  On a une impression d’opulence, de prospérité. Si on devait associer une saison à tout ce qui est visualisé ici, ce serait la saison des récoltes. Il se dégage une sensation de joie, d’extase. Une ambiance de fête, de paroxysme. On est au sommet de quelque chose. En même temps, on y trouve également des symboles de commencement : la lune est dans sa première phase, « ne t’attarde pas sur le passé », « abrège ». Une sensation de mouvement perpétuel et de transformation traverse l'ensemble. Ce qui paraît être une boule de cristal est en fait une bulle de savon. La bourse de cuir (richesse) se transforme, elle, en montgolfière, comme si la richesse partait en voyage. On constate de symboles lunaires aussi : la lune (bien que dorée), le personnage féminin (bien que portant une fine moustache). Tout se transforme, rien n’est fixe. Enfin, on observe des symboles ternaires : le masque aux 3 rayons, le trèfle, les trois turquoises. Fouillant les nimbes de l'internet, je trouve ce masque aux 3 rayons et suis, d'instinct, enclin à l'associer au dieu gaulois Dis, qui règne sur le monde souterrain. Royaume des morts mais aussi matrice de la terre où les germes éclosent.

 La vigne vierge est très envahissante, elle se développe beaucoup, ce qui colle parfaitement avec cette idée de développement, de croissance, de prospérité qui imprègne les images de cette méditation. Elle est récolte et renouveau. En ce sens, elle est semblable à l’Azalée blanche, mais avec moins de raideur, de tristesse que celle-ci. Avec la vigne vierge, tout se transforme, certes, mais dans la joie. Dans un mouvement perpétuel. Elle est marquée du symbole du triskèle qui tourne sur lui même, de la triade lunaire : la jeunesse de la vierge, la mâturité abondante de la femme mûre, puis la vieillesse. Elle est naissance, vie et mort. Et renaissance à nouveau. D'ailleurs,  les vrilles de la vigne évoquent la spirale, symbole connu pour évoquer la transformation et le cycle de la vie. Il révèle une manière non linéaire de concevoir le temps. Le temps y est cyclique ce qui ne veut pas dire que tout recommence exactement à l’identique. Le retour à la case départ offre de nouvelles possibilités. Dans de nombreuses traditions, la déesse mère redevient vierge. Cette virginité retrouvée est un autre symbole du renouveau. Le bouclier pourrait d’ailleurs symboliser l’hymen. Frappé de trois pierres précieuses, il montre la place qu’il occupe dans le symbole du triskèle. Le cycle des naissances, vie, mort et renaissance passe par cette virginité retrouvée, cette innocence qui rend d’autres commencements possibles. « Ne t’attarde pas sur le passé » peut d’ailleurs signifier « il faut oublier ses vies antérieures pour pouvoir revivre ». La vigne vierge favoriserait ainsi l’oubli, l’oubli nécessaire pour un nouveau départ. N’oublions pas que les fruits de la vigne vierge sont toxiques, contrairement au raisin. Ils sont donc associés aussi à la mort. Par ailleurs, le saint Graal est traditionnellement représenté sur une couronne de vigne vierge surmonté d’une colombe. Ce qui en fait du même coup un symbole de résurrection. Contrairement à la vigne ordinaire, elle n’est pas source de vin, elle ne symbolise donc pas l’ivresse, ni la déconnection du monde terrestre. Elle est surtout symbole de renouveau.

 La vigne vierge tend, si on la regarde bien, à une évolution permanente, à une croissance rapide, à un brassage continue des énergies, à une communication constante. Elle est cette femme bavarde et généreuse qui ne connaît jamais ni le silence, ni la pauvreté. Taillez-la, elle repousse aussitôt. Elle se joue de tout, ne tient rien pour acquis. Pour elle, l’éphémérité des choses est source de joie et non de tristesse. Car elle offre autant de possibles, de découvertes probables, de rencontres, de croissances. Rien ne vient dans la bourse si on ne l’a pas d’abord vidée. Le changement seul est source de richesse et d’évolution.