La joueuse de marelle - l'Aneth

En juillet, les hautes tiges de l'Aneth s'ornent d'ombelles de fleurs jaunes minuscules, tandis que les feuilles, fines, nombreuses, légères, ondulent joyeusement dans le vent tiède de nos étés. L'Aneth m'apparaît commune un esprit enfantin. Une fillette qui joue, sautille, s'amuse et tournoie sur elle-même, seulement armée de ses queuettes brunes et d'une robe simple, lumineuse. Elle chantonne des comptines et joue à la marelle. Elle court, insouciante, derrière le papillon, croque dans les tiges de pissenlit et suce les fleures de trèfle. Tout l'intéresse. Tout la passionne. Elle a pour seule force sa curiosité, pour amie sa formidable insouciance. Elle ne cesse de poser des questions : « pourquoi tu ? Comment ça ? ». Elle est totalement insatiable. Elle est curieuse de tout. Elle veut tout comprendre. Elle veut tout savoir. Chacune de ses si nombreuses graines et un de ses savoirs multiples. L'Aneth est l'abondance. Elle est généreuse, follâtre, peut-être légèrement dépensière. Un tourbillon de légèreté. Dites-lui que deux et deux font quatre, elle le chantonne : « deux et deux, deux à deux, deux et deux font quatre, deux et deux, doux à doux, deux et deux font quatre sous. On joue à la marelle, tous les deux. Tiens, ce noyau de pêche va nous servir de caillou. Hop, la case un, je saute. Un. Un. Un. Dans sa maison, un lutin. A toi, maintenant !'

L'Aneth est petite Anne. Quand août grossit ses graines, il les arrose d'un goût puissant, qui jaillit dans la bouche quand on ose les croquer. L'anis. Aussitôt ressurgissent les souvenirs des jeux de l'enfance, le goût des sucettes suçottées, fondantes, sucrées, avec une formidable patience. Un bonheur indicible. De tièdes après-midis passés à regarder passer les nuages et leur cortège de personnages. L'aneth croquée m'anesthésie très légèrement la langue. Elle se pose sur la bouche. Pose des questions. Y répond même, parfois.

Traditionnellement, l'Aneth est considérée comme étant de genre masculin et liée à l'élément feu et lui trouvent une présence sexuelle assez forte. Ce n'est néanmoins pas mon cas. Car c'est bien sous la forme d'une fillette qu'elle m'est apparue, pas d'un homme. Et sa danse fabuleuse à l'intérieur des courants d'air me la fait la lier plutôt à l'air qu'au feu. Et si je perçois bien quelque chose de joyeux, de taquin, et, peut-être, une envie de calins chez cette plante, il s'agit plutôt de tendresse que de sexe. Comme un enfant que l'on endort en lui passant la main dans les cheveux tout en lui chantant une berceuse. D'autres affirment que l'Aneth est l'amant du Coquelicot selon certains récits mythologiques. C'est possible. Mais je n'ai pas encore perçu cet aspect-là de la plante.

Chacun a son rapport privé, personnel, particulier, privilégié avec les membres de la grande tribu verte.

L'Aneth est protectrice. C'est la plus bienveillante des marraines, celle qui se penche sur le sommeil des enfants sages et protège leur berceau. Elle éloigne les personnes malveillantes, celles qui amènent le mal et colportent des mensonges. Curiosité, joie, insouciance sont à la source de sa magie. Avec elle, on réveille l'enfant qui dort en soi. On l'interroge sur ce qu'il souhaite apprendre. Sur ce qui l'amuse. Sur ses envies. Jouer avec l'Aneth, c'est s'approcher du paradis.