Leçons d'elficologie - Pierre Dubois

Le 1er mai est une des dates fétiches des fées, un endroit du temps apprécié pour affiner le voile tendu entre leur monde et le nôtre. En ces journées de ferveur printanière, elles tournoient dans nos champs, printanisant les prés et enféant les animaux. C'est une date merveilleuse pour vous parler de cet ouvrage de Pierre Dubois : "leçons d'elficologie".

La langue de Pierre Dubois est un verre ancien ciselé de fines arabesques. Elle chante comme un ruisseau joueur et charrie des néologismes inspirés et évocateurs. L'auteur part d'une constatation terrible. L'école et son institution glaciale enseignent la langue et les mathématiques... mais elle a délaissé les chemins féériques et les a relégués dans des petites historiettes sages, convenues, dont on souligne bien vite qu'elles ne sont que le fruit de l'imaginaire et qu'elles n'appartiennent pas à la réalité. Dans ce paysage froid qu'est celui du savoir, Pierre Dubois invente donc une matière. L'elficologie. Si la biologie étudie le vivant, l'elficologue s'intéresse, lui, à l'être imaginaire, à son passé, son milieu de vie et à sa façon d'être. C'est ainsi que ce livre se découpe en plusieurs parties, évoquant la géographie, l'histoire et diverses leçons de choses liées au Petit Peuple. On pourrait croire l'ouvrage destiné aux enfants. Oui mais alors aux enfants de quel âge ? Car la langue de Dubois est complexe et chantante, chargée de sens, d'images ; elle a le verbe imaginaire et ouvragé. Je ne crois pas le livre destiné aux têtes blondes, mais plutôt aux visages déjà mûrs de leurs parents ou de ceux qui conservent, dans le plus profond de leur coeur, l'amour des elfes, des fées et des autres lutins.

La géographie du Petit Peuple déborde largement de l'Europe où on la confine souvent. Elle se répand en Asie, en Afrique, s'enrichit de visages et de noms qui m'étaient inconnus. Munuanes. Apsarâs. Uluru. La Nutonnerie, par contre, est belge et confinée à nos Ardennes dont les froides cavités abritent ces orfèvres barbus. N'allez pas les imaginer bourrus et vêtus de loques. Que du contraire. Ils sont agréables à la vue, soignés et bien vêtus pour courtiser avec ardeur les jeunes fermières auxquelles ils offrent leurs bijoux. La Flandre n'est pas en reste. Elle abrite, quant à elle, le Lowèthme, qui en hante les caves. Adoptant l'aspect d'une énorme araignée, il attend les enfants, tapi dans le fond de sa toile, afin de les happer, les dévorer, les digérer. Dubois liste bon nombre de fées, d'esprits de l'air, de l'eau, de la terre ou du feu. Il en dénomme les habitats, les portes qui y conduisent, les époques favorables. Il parle également de l'histoire du Petit Peuple. Il en évoque l'Age d'or et son déclin. Il nous raconte Obéron, Maeve, Tamlane, Merlin et le révérend Kirk. Puis, il nous ouvre les pages de leçons de choses fort passionnantes. On y découvre les atours féériques de l'Aspérule, du Muguet, de la Belladone ou même de l'Hellébore. Pimprenelle, Mandragore et Herbes de Saint-Jean les suivent dans la ronde, suivies par le Sureau, le Bouleau, le Chêne d'or. Insectes, oiseaux et mammifères imaginaires (dont j'en ignorais un grand nombre) n'ont vraiment rien à envier aux reptiles et autres dragons. Soit dit en passant, l'illustrateur, Roland Sabatier, nous fournit une superbe anatomie du dragon. Il relève d'ailleurs tout l'ouvrage de magnifiques illustrations.

J'aime Pierre Dubois. Sa culture elficologique est absolument gigantesque et grandiose. C'est un maître, un illustre professeur qui apprécie de partager ses connaissances. Et il le fait, il faut l'admettre, dans un langage fort coloré et imagé, plus riche que bien des platitudes romanesques que les éditeurs osent, trop souvent, nous servir. L'ami des fées et des lutins aurait tort de passer à côté de lui et de son oeuvre sans y jeter le moindre regard. Je lui conseille, plutôt, de s'y plonger sans hésiter.